réforme et agriculteurs

Les événements climatiques de 2021 ont enjoint les autorités à se pencher sur le dossier sensible du régime d’assurance récolte. Un projet de loi a été adopté pour lancer la réforme. Pourquoi cette réforme, en quoi consiste-t-elle et que va-t-elle changer ? Les experts Mutualia vous disent tout.

Pourquoi cette réforme ? 

Le changement climatique accentue la sévérité des aléas

Le changement climatique est une réalité et les agriculteurs sont en première ligne de ses conséquences. Ces dernières décennies ont vu la multiplication des catastrophes naturelles. Ouragans, inondations, épisodes de grande sécheresse, gel et gelées tardives ou encore grêle mettent à l’épreuve la production agricole.

Parce que l’agriculture dépend de la météo, du climat et de la disponibilité de l’eau pour prospérer, elle est facilement affectée par les événements naturels et les catastrophes qui peuvent être dévastateurs.

Les impacts agricoles des événements naturels et des catastrophes comprennent le plus souvent :

  • la contamination des plans d’eau,
  • la perte de récolte et de bétail,
  • la sensibilité accrue aux maladies et aux ravageurs,
  • la destruction des systèmes d’irrigation et d’autres infrastructures agricoles.

Ces événements ont un effet immédiat mais aussi des impacts durables sur la production agricole, y compris sur les cultures, la croissance des forêts et les terres arables, qui ont besoin de temps pour se développer.

culture climat

Un système d'indemnisations obsolète

Les aléas climatiques augmentant en fréquence et en intensité ont alourdi les pertes de production agricoles et mettent désormais en évidence l’inefficacité du système assurantiel existant.

Selon le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, « le constat est clair, notre système d’indemnisation des pertes liées aux aléas climatiques est à bout de souffle », précisant que peu d’agriculteurs sont couverts, qu’il est illisible et injuste, et qu’il n’est plus en phase avec la réalité du changement climatique.

En effet, le régime des calamités agricoles ne suit plus la cadence des aléas climatiques devenus trop fréquents. Les tarifs des contrats sont de leur côté trop élevés pour être souscrits par les intéressés : seuls 30% des surfaces céréalières, 20% des vignes, 4% des vergers et 1% des prairies sont assurés.

Par ailleurs, même si le régime des calamités agricoles, fondé sur la solidarité, est cofinancé par l’État et les agriculteurs, il ne couvre que certains pans de l’agriculture (grandes cultures, viticulture…) et accuse des retards de paiement excessivement longs, jusqu’à deux ans en moyenne. De même, le système assurantiel privé, bien que subventionné à 65% par l’État, est critiqué comme étant trop complexe, avec de nombreuses exclusions de garantie, et non accessible à tous les agriculteurs (environ 20% seulement des agriculteurs souscrivent à ces contrats).

Les aléas climatiques alimentés par le changement climatique ces dernières années ont accru les pertes et exacerbé l’inefficacité de ce système, appelant à une réforme. Ainsi, à la suite de la dernière catastrophe naturelle de 2021 (épisode de gel de printemps sévère), le Président de la République a annoncé le 18 mai 2021 la réforme de l’assurance récolte applicable dès 2023 : « Il y a une accélération des aléas climatiques depuis dix ans. Nous allons ouvrir le chantier de l’assurance récolte pour répondre aux catastrophes […]. Si on veut une souveraineté agricole, on va devoir complètement repenser le modèle d’assurance. Nous allons devoir bâtir, je dis « nous » parce que c’est la Nation toute entière, un nouveau régime ».

 

La réforme de l'assurance récolte

Du projet de loi à la promulgation

Un projet de loi a été présenté pour délibération en Conseil des ministres le 1er décembre 2021 par Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, et par Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation.

Le projet de loi proposait de réformer le système français d’indemnisation des pertes de récolte en mettant en place une couverture contre les risques climatiques accessible à tous les agriculteurs. À cette fin, un système complet de compensation des pertes de récoltes liées au climat a été présenté.

Le 12 janvier 2022, les députés ont adopté à une large majorité le projet de loi en première lecture à l’Assemblée nationale. Le 8 février 2022, le Sénat a également adopté le projet de loi à une large majorité en première lecture.

Bruno Le Maire, co-porteur du projet, a déclaré : « Nous menons, avec ce projet de loi, une réforme systémique de l’assurance récolte qui permettra de protéger chacune de nos exploitations agricoles. À partir de 2023, tous les agriculteurs pourront avoir accès à une couverture universelle, fondée sur la solidarité nationale, pour couvrir les risques les plus graves. En parallèle, un accès plus simple à l’assurance privée permettra de se protéger des autres risques. C’est un travail partenarial mené avec les fédérations professionnelles de l’agriculture, les assureurs et les parlementaires qui permet aujourd’hui d’aboutir à cette réforme historique ».

« L’adoption de la réforme de l’assurance récolte marque un véritable tournant dans nos politiques agricoles. La solidarité nationale vient se porter garante de la pérennité de nos productions agricoles dans un contexte d’accélération et d’intensification des épisodes climatiques exceptionnels. Cette réforme vient donc créer une véritable ceinture de sécurité pour tous les agriculteurs : en cas d’aléas exceptionnels la solidarité nationale indemnisera leurs pertes. Je tiens à saluer tout le travail mené avec les parlementaires permettant d’aboutir à une réforme structurelle, attendue et efficace. Désormais, le travail réglementaire doit s’ouvrir pour permettre la pleine opérationnalité du système dès 2023, comme annoncé par le Président de la République », a ajouté Julien Denormandie.

Le 24 février 2022, le Parlement a définitivement adopté la réforme de l’assurance récolte par un ultime vote du Sénat. Enfin, le 2 mars 2022, le Président de la République a promulgué la loi n°2022-298 d’orientation relative à une meilleure diffusion de l’assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture. Elle est parue au Journal officiel n°52 du 3 mars 2022.

Le nouveau régime d’assurance récolte devrait être pleinement opérationnel dès le 1er janvier 2023.

 

En quoi consiste à la réforme de l'assurance récolte ?

Ce nouveau texte de loi crée un régime reposant sur la solidarité nationale et un nouveau partage des risques entre l’État, les agriculteurs et les assureurs. Ce régime repose sur quatre piliers fondamentaux :

  • la solidarité : amélioration de la solidarité nationale permettant d’atteindre un financement de 600 millions d’euros par an du dispositif (contre 300 millions d’euros actuellement) ;
  • l’universalité : quelle que soit leur filière, tous les agriculteurs bénéficient de la couverture des risques dits « catastrophiques » ;
  • la lisibilité : répartition claire des risques entre les différentes parties prenantes (agriculteurs, assureurs, État) ;
  • la rapidité : accélération des indemnisations des pertes de récolte (nettement inférieures aux deux années constatées en moyenne actuellement).

cultures et reforme

Ainsi, pour remplacer le système d’assurance actuel, le nouveau « régime universel d’indemnisation » présente une architecture à trois étages où le risque est couvert différemment selon le niveau de perte de récolte :

  • pour les risques de faible intensité (<30% de perte) : l’agriculteur assume seul le risque climatique en puisant dans la trésorerie de son exploitation ;
  • pour les risques d’intensité moyenne (entre 30 et 70% de perte) : une assurance multirisque climatique couvrira les pertes. Les primes de ces assurances seront en partie financées par les subventions publiques, notamment la Politique agricole commune (PAC) ;
  • pour les risques dits catastrophiques (plus de 70% de perte) : la solidarité nationale prend le relais et la perte est intégralement couverte par l’État.

Par ailleurs, le texte prévoit également la création :

  • d’un guichet unique pour simplifier les démarches ;
  • d’un pool d’assureurs dont l’adhésion pourrait être obligatoire pour les assureurs du secteur, permettant ainsi le partage de données et une mutualisation des risques afin d’établir une prime d’assurance la plus juste possible.

Une réforme déjà critiquée

Toutes les lois sont critiquées. Celle-ci ne fait pas exception.

Deux groupes politiques ont voté contre le texte : CRCE estime que le texte « s’enferre dans le choix de l’assurance privée », tandis que l’écologiste Daniel Salmon déplore un « désengagement de l’État au profit du secteur assurantiel ».

La Confédération paysanne et treize autres syndicats et organisations s’inquiètent de l’exclusion pour certaines productions : « En supprimant le dispositif existant des calamités agricoles pour le remplacer par l'assurance privée, le gouvernement exclut toutes les paysannes et tous les paysans qui, faute de trésorerie, n'ont pas les moyens de souscrire à une assurance récolte. Mais il exclut aussi des productions essentielles, comme le maraîchage diversifié ou l'apiculture, qui ne sont pas assurables alors qu'elles sont en première ligne face au changement climatique ». Elle ajoute que les fonds européens pour la prise en charge des primes d’assurance « auraient pu bénéficier aux mesures agro-environnementales ou à l’agriculture biologique ».

De son côté, la Coordination rurale estime que la réforme met en jeu « un dispositif trop coûteux pour pouvoir être utilement et massivement souscrit », notant que certains assureurs avaient déjà annoncé une augmentation de leurs primes de 10 à 25% en 2022.