Transmettre son exploitation est une étape capitale dans la vie d’un producteur. Pour la réussir, le cédant devra imaginer son repreneur idéal tout en restant souple sur les orientations futures de son exploitation.

 

Près du tiers des producteurs avait plus de 55 ans en 2010. La transmission de son entreprise est donc une question à laquelle de nombreux agriculteurs ont à faire face. « La très grande majorité des exploitants trouve à céder mais le plus souvent les exploitations sont vendues à des agriculteurs voisins », rapporte Julien Frehel responsable du point accueil transmission-installation de Lot-et-Garonne. Dans ce département, on compte en moyenne une installation pour trois à quatre départs. Parmi les transmissions à un nouvel installé, un quart à un tiers se fait hors cadre familial. « Le rapport entre cession et installation dépend de beaucoup de facteurs : la dynamique du secteur, la démographie agricole et le type d’exploitation », détaille Roger Le Guen, sociologue à l’ESA d’Angers.

La filière fruits et légumes, bien que dynamique, pâtit d’une baisse des installations. « Entre 2004 et 2016, le nombre d’installation a diminué de 22 % », souligne Hélène Boucherie de Légumes de France. La raison n’est pourtant pas la baisse des vocations. « Il y a des gens qui veulent s’installer », insiste le conseiller de la Chambre d’agriculture. Roger Le Guen identifie deux freins majeurs : la difficulté à trouver des capitaux pour reprendre des exploitations de plus en plus grandes et le décalage des projets entre deux générations. « Un certain nombre de cédants n’envisagent pas que le repreneur puisse transformer l’exploitation de façon radicale », analyse le sociologue. Or, les jeunes qui s’installent aujourd’hui, et plus particulièrement hors cadre familial, ont souvent des projets de production en bio, en vente directe. « Ils veulent prendre à bras-le-corps les problématiques posées par un environnement social et politique critique », continue Roger Le Guen. Les choix qui ont été faits par les cédants ne correspondent donc pas toujours à leurs aspirations. « En fruits et légumes, ce décalage est d’autant plus marqué que ce sont des marchés moins protégés, pointe-t-il. Les outils de production ont été conçus par rapport à des choix de marché qui diffèrent dans la qualité des produits et leur traçabilité. Des changements dans le mode production ou de débouchés sont plus difficiles à faire ». Les candidats à l’installation hors cadre familial ont aussi tendance à préférer s’installer seul sur leur exploitation. Un projet qui va à l’encontre de la progression des formes sociétaires.

Plusieurs options pour une installation progressive

Pour lever ces freins, la transmission doit être travaillée. « Pour qu’une transmission se passe bien sur le plan humain, il est préférable qu’elle soit progressive », conseille le sociologue. Le jeune peut être dans un premier temps salarié (voir sous-papier) ou s’installer progressivement en restant locataire d’une partie de ses terres avec un appui technique ponctuel du cédant… Mathieu Martinet a repris en 2017 l’exploitation de 30 ha de son grand-père en Lot-et-Garonne. « J’ai acheté une première tranche de 10 ha afin d’assurer un niveau de vie correcte à mes grands-parents. Les 20 ha restants sont en fermage », témoigne-t-il. Cette solution lui permet d’investir dans la plantation de noisetier tout en ayant de la rentabilité. L’achat des terres restantes et du bâtiment seront progressifs. Des stages de parrainage sont aussi possibles dans le cas où le candidat à l’installation est un jeune agriculteur et qu’il n’est pas issu de la famille. En serre, « l’installation se fait souvent soit par le rachat, soit en association dans des sociétés familiales pour qu’il y ait un apprentissage du métier pendant deux ou trois ans », indique Christophe Rousse président de Solarenn. Dans cette coopérative de la région rennaise, la transmission de structures viables économiquement est au cœur des préoccupations. « Avec la Safer, on essaye de négocier des terres à côté des exploitations membres de la coopérative qui vont bientôt être cédées pour anticiper l’installation de jeunes, car la problématique sur Rennes est la pénurie de foncier, mentionne le serriste. On envisage aussi la possibilité d’installation en bio. » Toutes les exploitations de la coopérative ont ainsi trouvé preneur sauf une qui était trop vétuste.

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Trouver un candidat à l’installation

« Mais finalement, l’étape la plus longue dans une transmission est la prise de conscience de l’arrêt de l’activité par le cédant », témoigne Julien Frehel. Une fois la décision prise, les délais avant la cession diffèrent selon le projet. Si l’exploitation est vendue ou louée à un autre exploitant, il suffit de six mois pour que la vente ou le fermage soient conclus. « Il faut par contre compter au moins trois ans lorsque le cédant souhaite installer un jeune non issu du monde agricole », continue-t-il. Pour trouver les candidats, chacun a son filon : annonce, répertoire départemental à l’installation (RDI), Safer, l’association Terre de liens… Certaines coopératives et les associations bio font aussi de la mise en relation. Des Chambres d’agriculture organisent des Speed-datings. « Il faut parfois accepter de changer de candidats en cours de route », témoigne Michel Huchette, producteur dans le Nord (voir sous-papier). « Dans le cas de la transmission à un enfant, il faut bien penser à la partie succession », indique Julien Frehel. Yolande et Jean-Claude Martinet, les grands-parents de Mathieu ont ainsi réuni tous leurs enfants et petits-enfants pour voir qui souhaitait mener des projets sur cette exploitation. « Le notaire joue là un rôle important, souligne Mathieu Martinet. Il est souvent plus facile à chaque membre de la famille d’exprimer sa volonté devant un tiers que devant ses parents. Et c’est une référence juridique. »

Source: Maude Le Corre, Réussir Fruits & Légumes