Toutes les entreprises devront bientôt proposer à leurs salariés une complémentaire santé destinée à prendre en charge tout ou partie des frais de santé non remboursés par la Sécurité Sociale. Signé en janvier dernier entre le Medef et trois syndicats minoritaires (la CGT et FO ont refusé l'accord) l'Accord national interprofessionnel (Ani) prévoit dans son article 1 la généralisation obligatoire de la complémentaire santé à tous les salariés. Ce texte transposé dans la loi a été présenté au Parlement, le 4 avril 2013, qui l'a adopté.

Tous les salariés devront bénéficier d’une complémentaire collective au plus tard le 1er janvier 2016. Celle ci sera prise en charge, au moins pour moitié, par l'employeur. Les négociations vont débuter dès le mois de juin au niveau des branches professionnelles pour définir le niveau de prise en charge et le contenu du panier de soins (ce qui sera couvert...) avec une base minimum qui comprendra notamment un remboursement des consultations, le forfait journalier hospitalier mais aussi des frais dentaires et optiques. Ce panier pourra aussi être amélioré lors des négociations au niveau des branches. Ces dernières pourront également désigner, après mise en concurrence, une complémentaire santé commune à toutes les entreprises qui lui sont affiliées. C’est ce que l’on appelle la «clause de désignation». Si certaines branches ne parviennent pas à se mettre d'accord, les entreprises devront prendre le relais en proposant une complémentaire santé à tous les salariés.

Pour qui ?

Cette loi est destinée aux 414 000 salariés et leurs ayants droit qui n'avaient pas de complémentaires santé mais aussi à ceux qui avaient jusqu'alors une complémentaire santé individuelle ou étaient ayants droit de leur conjoint fonctionnaire, par exemple et dont l'affiliation à un contrat collectif va devenir obligatoire.
Au total, entre 4 et 6 millions de personnes pourraient être concernées. La plupart d'entre elles sont des salariés des PME, car 93 % des entreprises de plus de 250 salariés proposent déjà des contrats collectifs à leurs salariés.

Fracture et facture sociale ?

Présentée comme un progrès social, cette généralisation a de nombreux effets pervers. D'abord, elle risque de produire des inégalités de couverture entre salariés, selon qu'ils dépendent d'une branche puissante économiquement ou moins favorisée.
Ensuite, elle va accroitre la fracture sociale entre ceux qui auront, demain, un emploi et une bonne protection sociale, de ceux, chômeurs de longue durée, étudiants, jeunes en précarité, retraités ou encore fonctionnaires qui devront s'acquitter d'une cotisation complémentaire individuelle, sans aide, et au tarif d'autant plus élevées que seuls resteront mutualisables les personnes modestes économiquement ou souffrant de grosses pathologies, comme les retraités. Avec l'article 1 de l'Ani, c'est le principe même de mutualisation et de solidarité qui s'écroule.

Enfin, en période de crise, quand des arbitrages doivent être trouvés, la Sécurité Sociale et l'Etat, ne risquent t-ils pas de diminuer leurs remboursements ou leurs prestations ? Certains le craignent. Les contrats collectifs, du fait des exonérations fiscales et sociales des employeurs et salariés, entraînent déjà un manque à gagner de recettes fiscales pour l'Etat et sociales pour la Sécu, de l'ordre de 2 à 4 milliards d'euros. La généralisation de l'Ani va encore accroître la facture fiscale (aux alentours de 1,6 milliards) et sociale ( 600 millions en hypothèse très basse) qui devra elle, être payée par l'ensemble des citoyens, salariés ou pas. Quid de la justice sociale puisque les exclus de l'Ani seront eux aussi mis à contribution. Gérard Bapt, député Ps, très opposé au texte, parle d'un véritable «gâchis financier» qui va « absorber à coup sûr des marges utilisables pour les plus démunis » : les pauvres, les retraités, les chômeurs, les étudiants...