Après 14 ateliers étalés sur trois mois, plus de 75 réunions et 163 000 votes, les États Généraux de l’Alimentation ont livré leur premier bilan le 21 décembre dernier. Il était tout d’abord question de trouver les ressorts législatifs, organisationnels et/ou contractuels pour mettre fin à la guerre des prix et pour redonner de la valeur aux produits alimentaires et agricoles français. L’un des autres enjeux majeurs était de mieux répartir la valeur tout au long de la chaîne de production et de mettre sur le marché des produits plus sûrs, plus sains et plus durables. Alors que cet état des lieux était partagé et unanime, qu’en est-il des mesures qui feront l’objet d’un projet de loi déposé dans les premières semaines de 2018 ?

Découvrez l’article du 4 Janvier 2018 de Karine Ermenier, journaliste pour Process Alimentaire en cliquant ici

1. Augmentation du seuil de revente à perte de 10 %. Gagnants : réponse dans 2 ans à l'issue de l'expérimentation.

« Une des choses les plus précieuses des États Généraux, c’est le constat partagé que la guerre des prix dans la grande distribution détruit de la valeur pour les agriculteurs et pour les PME de l’agroalimentaire, a affirmé Edouard Philippe, le Premier ministre, dans son discours de clôture des EGA. De la valeur aussi pour le commerce, la distribution et les consommateurs, privés du développement de nouveaux produits et de l’innovation. »

Pour y remédier, le gouvernement propose de relever le seuil de revente à perte de 10 % pour les produits alimentaires et d’encadrer les promotions. Le tout sous la forme d'une expérimentation d'une durée de deux ans. Sa justification est la suivante : « l’objectif de cette mesure est d’essayer de rééquilibrer les relations commerciales au profit du revenu des agriculteurs, indique Edouard Philippe. En clair, on modifie un peu les termes de l’équation qui sert de base au calcul des péréquations des distributeurs entre les produits qu’ils vendent à un prix plancher et les autres. Le tout dans un sens plus favorable au producteur. » L’idée est de ne pas descendre les prix des blockbusters au-dessous d’un certain seuil de rentabilité, pour éviter que les enseignes soient tentées de se rattraper sur le prix d’autres produits sur lesquels les consommateurs ont moins de repères.

Cette mesure est celle qui s’attire le plus de commentaires, positifs comme négatifs. Elle oppose depuis le début deux camps : d’un côté Michel-Edouard Leclerc, l’UFC Que Choisir et la Feef, de l’autre la FNSEA, Coop de France, l’Ania et la FCD. « L’exercice accouche d’un énième projet législatif sur les rapports industrie/commerce. […] Question simple : comment la hausse (jusqu’à 10 % !) du coca-Cola, du Nutella, du Carte Noire ou de l’Evian va t-elle rentrer dans la poche des producteurs de viande ou de lait ? », a ainsi réagi Michel-Edouard Leclerc, président de l’ACD-Lec. Tandis que son concurrent Intermarché se félicite de cette initiative, via son président Thierry Cotillard : « L’encadrement des promotions extravagantes et la hausse du seuil de revente à perte pour les produits alimentaires forment un ensemble cohérent et synonyme de prudence quant aux effets de cette révision sur le pouvoir d’achat des consommateurs. Prudence renforcée par leur expérience expérimentale sur deux ans. »

Chez les industriels aussi les positions divergent : « Pour être clair, [...] la première mesure qui va être prise par le gouvernement consiste à augmenter les marges de l’aval concentré, on marche sur la tête ! […] La mise en place d’un seuil de revente à perte majoré va se traduire par une augmentation des marges des distributeurs pour les grandes marques. Ils vont alors préférer les rayons les plus fortement générateurs de masse de marge. Au détriment des marques PME qui vont voir leur attractivité diminuer. Les PME risquent d’être fragilisée économiquement », critique Dominique Amirault, président de la Feef. Tandis qu'à l'Ania, Catherine Chapalain sa directrice affirme : « Les négociations commerciales de 2018 entre les entreprises alimentaires et la grande distribution débutent dans un climat difficile, malgré la signature il y a un mois de la charte d’engagement par tous les acteurs de la filière dont tous les distributeurs. Dans ce contexte, l’Ania est, plus que jamais, en attente de la loi annoncée par le Président de la République pour début 2018. Et sera extrêmement vigilante à ce que les engagements pris dans le cadre des Etats généraux de l’alimentation (notamment en ce qui concerne le relèvement du seuil de revente à perte et l’encadrement des promotions) soient bien respectés. »

Ici et là, on lit déjà que les prix vont augmenter de 10 %, crainte première des associations de consommateurs. Mais ceci est loin d’être une évidence pour tous les produits. Car la hausse du seuil de revente à perte oblige les distributeurs à ne pas descendre au-dessous de cette marge brute de 10 % qui couvre des frais logistiques et de distribution, entre autres. Seuls les produits qui étaient vendus en deçà de cette marge, et qui faisaient justement l’objet de la guerre des prix la plus agressive, devraient être concernés. Le pari du gouvernement est donc de donner moins la possibilité à la guerre des prix de s'exprimer. Et ainsi de contraindre les distributeurs les plus focalisés sur le prix à réorienter leur stratégie.Le fameux "changement de paradigme" attendu, mais qui reste très hypothétique.

2. Limitation des promotions à 34 % maximum du prix normal. Gagnants : les industriels.

Les promotions seront limitées à 34 % de la valeur du produit et à 25 % en volume annuel. Au contraire du relèvement du seuil de revente à perte, cette mesure fait presque l'unanimité. A l’exception, peut-être de Michel-Edouard Leclerc et des associations de consommateurs. Tous reconnaissent toutefois que certaines situations devenaient totalement abusives. Comment assurer les marges d’une entreprise avec des rabais de 70 % ? Surtout, comment donner aux consommateurs des repères de prix justes avec des "1 + 1 gratuit" ? Comme la hausse du seuil de revente à perte, cette mesure sera en test pendant deux ans.

3. Inversion de la formation du prix pour tenir compte des coûts de production. Gagnants : les producteurs.

« Nous allons inverser la logique traditionnelle, a indiqué le Premier ministre. Ce seront les producteurs et leurs organisations de producteurs qui proposeront les termes du contrat. Et cette proposition prendra en compte les coûts de production des agriculteurs, avec l’appui notamment des interprofessions. » Le gouvernement affirme également vouloir faciliter la renégociation des prix en cas de volatilité, mais sans rentrer dans les détails de la méthode…

4. Mise en place de plans de filières et d’organisations de producteurs. Gagnants : les producteurs.

Il s’agit de la contre-partie aux mesures précédentes (1 à 3) sur laquelle le président Macron lui-même a insisté lors de son discours du 11 octobre dernier. Pour le Président, la contractualisation ne sera efficace que si les agriculteurs se regroupent en organisations commerciales de producteurs pour peser davantage lors des négociations, en tirant profit des possibilités existantes du droit de la concurrence. « Nous inciterons fortement en ce sens, en conditionnant certains dispositifs d'aide à la taille des organisations de producteurs », a-t-il déclaré.

La filière laitière a présenté son plan à 1,3 milliard d’euros se fixant trois objectifs :

  • définir un cadre interprofessionnel, sous six mois, qui crée des conditions de négociations commerciales plus transparentes, réactives et équitables
  • créer un stand de haute-qualité du lait et des produits laitiers, exprimant l’excellence française
  • offrir aux consommateurs des produits laitiers diversifiés et conformes à leurs attentes par le biais de segmentations clairement identifiables

5. Plan de développement de l’agriculture biologique. Gagnants : toute la chaîne à commencer par les consommateurs et les producteurs

Un programme de développement de l’agriculture biologique pour les cinq années à venir fixe un objectif de 15 % de surface agricole utile (SAU) en bio en 2022, contre 6 % aujourd’hui. Une proposition des EGA est aussi d’atteindre un objectif d’un tiers de production bio à horizon 2030 avec un objectif intermédiaire à 15 % en 2022. Ce plan vise aussi à atteindre au moins 20 % de produits issus de l’agriculture biologique dans la restauration collective.

« Nous attendions des moyens législatifs, réglementaires, budgétaires et fiscaux et des plans d’actions clairs pour sortir des pesticides, soutenir l’agriculture biologique ou lutter contre les contaminants chimiques et les perturbateurs endocriniens. Au lieu de cela, nous avons l’annonce de futurs plans avec à nouveau des consultations. Ce sont des annonces d’entrée d’États Généraux de l'Alimentation, pas des annonces de clôture », a déploré l’organisation WWF.

Le gouvernement justifie cette nouvelle concertation par sa volonté de bien déterminer les moyens pour y parvenir. « Cela implique d’anticiper et de préparer des arbitrages nécessaires pour ne pas reproduire la situation de cet été. Chacun s’en souvient : nous avons dû modifier la répartition des aides de la PAC pour garantir les aides aux zones défavorisées, au bio, à l’assurance récolte. Nous avons dû le faire alors que les risques de dérapage budgétaires étaient connus depuis longtemps. Je souhaite donc que l’on évalue dès maintenant les risques de dérapage budgétaire pour éviter les mauvaises surprises », a précisé Edouard Philippe dans son discours de clôture.